“Charis”, “checed”, la loi et la grâce
L’une des conséquences de la Réforme protestante, lorsque de nombreuses Églises « filles » rompirent avec leur « mère » catholique, fut l’adoption quasi universelle par les protestants des idées de Martin Luther mettant en opposition la grâce et la loi de Dieu.
Martin Luther était un grand érudit qui connaissait les Écritures. Il écrivit des commentaires sur la Genèse et les Psaumes, dans lesquels il eut à étudier le sujet de la grâce. C’est ainsi qu’il réussit à présenter sa fraude d’une manière très convaincante, en établissant ce qui allait devenir une fiction persistante.
Dans son interprétation de l’épître aux Galates, les conclusions théologiques de Luther visent particulièrement à établir l’idée d’une opposition entre la grâce et la loi. Voyez par exemple ce qu’il écrivit dans son Commentaire de l’épître aux Galates :
« Je vous exhorte donc, vous qui allez être instructeurs des consciences – et je m’adresse à chacun de vous en particulier – à vous exercer par l’étude, la lecture, la méditation et la prière afin que lorsqu’elles sont en tentation, vous puissiez enseigner les consciences, tant les vôtres que celles des autres, les consoler et les ramener de la loi à la grâce, de la justice active à la justice passive et, pour tout dire, de Moïse à Christ. Car, dans nos afflictions et dans les luttes de la conscience, Satan a coutume de brandir la loi pour nous terrifier, de nous accabler avec la conscience de notre péché, notre vie si mal vécue, la colère et le jugement de Dieu, l’enfer et la mort éternelle, pour nous entraîner ainsi au désespoir, nous soumettre à lui et nous détourner de Christ » (Martin Luther, Œuvres,tome XV,page 27, éditions Labor et Fides).
Nous retrouvons les conséquences de cette opposition lorsque nous lisons Jean 1 :17 dans certaines traductions, comme la révision Segond 21 ou la Bible en français courant : « Dieu nous a donné la loi par Moïse ; mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ. »
La conjonction de coordination « mais » a été ajoutée par les traducteurs selon leur compréhension. D’autres versions n’employant pas le mot « mais », comme celles de Darby ou de Martin, séparent malgré tout les deux parties du verset par un point-virgule, faisant ainsi perdurer le concept d’opposition de Luther. En réalité, les deux phrases ne devraient pas être en opposition mais en parallèle :
« Dieu nous a donné la loi par Moïse » et « Dieu nous a donnéla grâce et la vérité par Jésus-Christ. »Notre Père céleste nous a donné les deux, de sorte que les deux phrases représentent une progression et pas une opposition d’idées. Ce verset est aussi le point culminant et le résultat d’une pensée que Jean fut inspiré à écrire : « Et la Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père » (Jean 1 :14). Nous reviendrons sur ce verset un peu plus loin, car il est très important.
La fiction de Luther
Si vous écoutez des prédicateurs à la radio ou à la télévision, ils ont presque tous une vision de la loi et de la grâce sortie tout droit des enseignements de Luther. Ils enseignent que « la loi est abolie » et que « nous sommes maintenant sous la grâce ». Les dictionnaires et les manuels bibliques continuent aussi à perpétuer cette erreur. L’un des dictionnaires bibliques les plus complets déclare à propos de l’utilisation des mots « grâce » (charis) et « vérité » dans Jean 1, aux versets 14 et 17 : « Les écrits johanniques regroupent très rarement ces mots […] l’antithèse de Paul sur la grâce et la loi est adoptée, mais pas développée. La déclaration est unique dans l’Évangile de Jean » (Theological Dictionary of the New Testament, Kittel G., Bromiley et al. page 399).
Malgré son rôle dans la perpétuation de cette fiction, Luther ne fut pas le premier à interpréter la grâce de façon erronée. Les apôtres et les dirigeants de l’Église originelle s’opposèrent à ceux qui interprétaient ou comprenaient mal le concept de la grâce. C’est pourquoi Jude écrivit : « Car il s’est glissé parmi vous certains hommes, dont la condamnation est écrite depuis longtemps, des impies, qui changent la grâce de notre Dieu en dérèglement, et qui renient notre seul maître et Seigneur Jésus-Christ » (Jude 4).
Cette déclaration est très instructive. Une interprétation ou une compréhension erronée de la grâce conduit à renier ou à banaliser le rôle de Jésus-Christ. À mesure que nous avancerons dans cette étude sur la grâce, nous pourrons apprécier toute la profondeur de la déclaration de Jude.
L’apôtre Paul enseigna aussi les frères et sœurs sur ce concept. En s’adressant à la congrégation de Rome, il leur demanda si la grâce était associée à l’absence de loi. « Que dirons-nous donc ? Demeurerions-nous dans le péché, afin que la grâce abonde ? » (Romains 6 :1). Quelques versets plus loin, il explique clairement que les chrétiens ne doivent pas être esclaves du péché – de l’absence de loi – mais que nous sommes maintenant sous la grâce. De nos jours, selon le point de vue protestant, Paul croyait que ceux qui sont sous la grâce n’ont plus besoin d’observer la loi divine. Mais en réalité, il nous dit que la grâce annule l’amende de la mort encourue par la transgression de la loi – le péché. Nous lisons : « Car le péché n’aura point de pouvoir sur vous, puisque vous êtes, non sous la loi, mais sous la grâce. Quoi donc ! Pécherions-nous, parce que nous sommes, non sous la loi, mais sous la grâce ? Loin de là ! Ne savez-vous pas qu’en vous livrant à quelqu’un comme esclaves pour lui obéir, vous êtes esclaves de celui à qui vous obéissez, soit du péché qui conduit à la mort, soit de l’obéissance qui conduit à la justice ? Mais grâces soient rendues à Dieu de ce que, après avoir été esclaves du péché, vous avez obéi de cœur à la règle de doctrine dans laquelle vous avez été instruits » (versets 14-17).
Il est intéressant de noter que l’apôtre Paul utilise trois fois le mot grec charis – grâce – dans ce passage, aux versets 14, 15 et 17.
Ancien contre Nouveau Testament ?
La finalité de l’approche de Luther sur la loi et la grâce était de conserver, au sein du protestantisme, une opposition entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Par conséquent, l’Ancien Testament ne fut plus regardé comme une source de compréhension des concepts transmis par le Nouveau. La grâce fut considérée comme un thème du Nouveau Testament, interprétée selon l’utilisation du mot grec.
Sous l’influence de Luther, peu d’étudiants de la Bible cherchèrent la signification profonde du mot grâce. Dans ses enseignements, M. Herbert W. Armstrong définit le mot « grâce » (charis en grec), employé dans le Nouveau Testament, comme « un pardon immérité, ou non mérité ». Cette définition s’appuie sur l’usage grec : « Au singulier, charis signifie aussi “disposition gracieuse” » (Kittel, page 375).
Cependant, contrairement aux théologiens protestants, il est intéressant de constater que M. Armstrong ne s’arrêta pas là. Il éprouva le besoin d’expliquer davantage, au-delà des définitions standards :
« La “grâce” représente un pardon que nous ne méritons pas, que nous ne pouvons pas “acheter”. Dieu pardonne à celui qui se repent de ses péchés.
Serepentir, c’est cesser de se rebeller, ou d’être hostile, ou de désobéir. Se repentir signifie se mettre à obéir à la Loi divine.
Dieu n’accorde pas ce don merveilleux – celui de l’immortalité qu’accompagne la puissance divine – à ceux qui l’utiliseraient pour faire le mal ou pour faire souffrir. Il a décidé de ne l’accorder qu’à ceux qui l’utiliseront pour faire le bien. Toutefois, cela ne signifie pas, pour autant, qu’on puisse l’obtenir par nos œuvres plutôt que par la grâce. S’il n’existait aucune condition, n’importe qui pourrait le réclamer, et l’obtenir de la même façon qu’un droit d’aînesse, plutôt que par la grâce.
La grâce, un don divin, requiert les conditions que Dieu a fixées. L’obéissance, tout en étant requise, ne sert pas à payer un tel don » (Les Anglo-Saxons selon la prophétie, Église Universelle de Dieu, 1982, pages 34-35).
M. Armstrong comprenait qu’il y avait trois aspects importants ne figurant pas dans l’usage courant de ce mot grec : 1) la loi de Dieu continue toujours de s’appliquer, conduisant 2) à la repentance ainsi qu’à la nécessité de se repentir, et 3) à la reconnaissance de la grâce à la fois dans les pages de l’Ancien Testament comme du Nouveau !
Dans une émission du Monde de Demain en anglais, M. Meredith qualifia l’opposition persistante de la loi et de la grâce comme « l’une des fausses idées les plus trompeuses et destructives dans le monde aujourd’hui. Le sacrifice du Christ a-t-il aboli la loi divine, ou existe-t-il une vérité qui relie la grâce de Dieu et la loi ? Prenez votre Bible et écoutez » (“Law or Grace ?”, T111).
Checed, charis et grâce
Jean 1 :14 décrit Jésus comme la Parole « pleine de grâce et de vérité ». Pour l’apôtre Jean, ces éléments étaient ceux du caractère juste et saint de Dieu, caractérisés dans la vie et la conduite de Jésus. Si le Christ est le même hier, aujourd’hui et éternellement (Hébreux 13 :8), cette grâce faisait donc partie de Son caractère avant qu’Il ne devienne un être humain. Malachie 3 :6 nous décrit la nature immuable du caractère de l’Être qui devint Jésus-Christ.
Il est donc remarquable de noter que des études historiques et linguistiques conduisent des érudits à faire une déclaration complètement étrangère à la théologie protestante d’origine : « Le concept de la grâce ne rompt jamais avec le cadre de la loi ; au contraire, il affine la Torah » (Kittel, page 387).
Comment cette reconnaissance est-elle apparue, après être restée des siècles dans l’ombre de la fiction de Luther ?
Le mot hébreu, si important pour une compréhension correcte des Écritures au sujet de la grâce, est checed – parfois translittéré par hesed. Le dictionnaire biblique Vine’s Expository indique que ce mot peut être traduit par « amour bienveillant, bonté immuable, grâce, miséricorde, fidélité, bonté, dévotion ». La plupart des traductions de la Bible en français traduisent le mot checed par « bonté » ou « miséricorde ». Tout le sens et la portée de la grâce, dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, ont donc été voilés pour la majorité des gens depuis la Réforme.
Que nous apprend le mot checed ?
L’un des premiers usages vient du serviteur d’Abraham, Éliézer, lorsqu’il fut envoyé pour trouver une femme à Isaac. Il se rendit compte qu’il avait besoin de la bonté (checed) de l’Éternel pour s’acquitter de sa mission envers Abraham (Genèse 24 :12).
Moïse utilisa ce mot pour montrer la puissante action de l’Éternel lorsqu’Il délivra Israël de la captivité égyptienne. « Par ta miséricorde (checed) tu as conduit, tu as délivré ce peuple ; par ta puissance tu le diriges vers la demeure de ta sainteté » (Exode 15 :13).
Le plus surprenant est peut-être l’utilisation du mot checed dans les Dix Commandements. Il apparaît deux fois, directement dans le deuxième commandement et en sous-entendu dans le premier. En ordonnant à Israël de ne pas faire d’images taillées, l’Éternel leur dit qu’Il fait checed à ceux qui gardent Ses commandements. Louis Segond l’a traduit par « miséricorde » dans Exode 20 :6. Le premier commandement est une expression de la checed de l’Éternel pour Israël. Souvent, nous lisons seulement « tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face » (Exode 20 :3), mais le verset précédent fait aussi partie des paroles de l’Éternel lorsqu’Il donna les Dix Commandements. Les versets 3 et les suivants doivent être la réponse d’Israël à l’intervention de l’Éternel – une intervention qu’Il leur a déjà donnée gracieusement en les libérant du pays d’Égypte et de l’esclavage qu’ils enduraient. Moïse décrit cet acte comme de la checed, ou de la grâce, pour nous.
Moïse a aussi appris et nous a rapporté les détails de la checed de l’Éternel lorsqu’il passa du temps sur le mont Sinaï. Moïse désirait voir son Interlocuteur, mais il lui fut répondu qu’il ne pourrait voir le visage de l’Éternel. Alors, l’Éternel lui révéla Son caractère spirituel (Exode 34 :6-7).
L’apôtre Jean a écrit : « Et la Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père » (Jean 1 :14). Jean définit ici la nature du Christ en reprenant une phrase de l’Ancien Testament qui décrivait Celui qui donna les tables des Dix Commandements : « Et l’Éternel passa devant lui, et s’écria : L’Éternel, l’Éternel, Dieu miséricordieux et compatissant, lent à la colère, riche en bonté [checed]et en fidélité » (Exode 34 :6).
Nous voyons donc le lien entre le mot hébreu checed (traduit ici par “bonté”) et le mot grec charis, qui signifie aussi « grâce ».
Ainsi, dire que Jésus est venu plein de grâce et de vérité, revient à dire que cela fut Son caractère depuis toujours et, par extension, celui de Son Père.
Israël fut donc délivré par un Être caractérisé par la grâce et la vérité – cela nous aide à voir à quel point la grâce est essentielle dans la relation qu’entretient la famille de Dieu avec la création. C’est même une part essentielle de la loi divine. La loi et la grâce ne peuvent donc jamais être mises en opposition. La compréhension de Martin Luther, reprise par de nombreux prédicateurs dans leurs émissions religieuses, était donc – et reste – complètement fausse.
Il est important de considérer à nouveau les paroles de Jude. Il déclara qu’il y avait une mauvaise utilisation ou interprétation de la grâce, par des individus qui reniaient ou banalisaient notre Sauveur Jésus-Christ, en insistant à quel point ce monde perdu et séduit demeure dans ce concept. Nous devrions être très reconnaissants d’avoir reçu une bonne appréciation de la grâce divine.
Pas de conflit entre la grâce et la loi
Avant de terminer, revenons un instant à l’Ancien Testament, avec une déclaration concise écrite par une personne qui étudia minutieusement l’application de la checed. Considérez à quel point cela s’applique également à ceux qui sont appelés par le Père à entrer dans une relation avec Son propre Fils.
« Le mot checed s’avère être, tout au long de la Bible, un terme remarquablement riche dans son sens théologique. Ici, la délivrance souveraine de Dieu et Son engagement solide pour Son peuple choisi tiennent dans un seul mot. Un seul mot qui exprime la dépendance absolue du peuple envers [l’Éternel], Sa volonté et Son pouvoir de les délivrer. Un seul mot qui communique la fidélité promise de Dieu sur laquelle les gens peuvent s’appuyer pour demander de l’aide, ainsi que la fidélité surprenante de Dieu qui transcende même Ses propres déclarations de jugement sur Son peuple. Dieu préserva la communauté de l’Alliance, même lorsque cette-ci échoua, selon Son propre engagement envers le peuple – une checed infaillible et éternelle, au-delà de toute espérance humaine.
Israël pourrait donc proclamer, tout au long de son histoire : “Louez l’Éternel, car il est bon, car sa checed dure à toujours” (Psaume 107 :1) » (Katharine Doob Sakenfeld, The Meaning of Hesed in the Hebrew Bible, pages 238-239).
En parlant des Psaumes, l’un d’entre eux, repris dans notre livre de cantiques, contient l’exposition la plus concentrée du mot checed dans la parole de Dieu. Le Psaume 136 en français parle de la miséricorde divine. Chaque verset exalte cette vertu de notre Créateur. En réalité, le mot hébreu traduit par miséricorde est checed. Dans ce seul Psaume, nous trouvons 26 occasions distinctes où Dieu accorde la checed – la grâce à Son peuple Israël, auquel Il donna la loi qu’ils étaient censés respecter.
Les apôtres et les auteurs du Nouveau Testament n’eurent aucune difficulté pour voir que la grâce de notre Père et de Son Fils est conséquente tout au long de la Bible. Ceux avec lesquels travaille la famille de Dieu étaient toujours soumis à la grâce. L’apôtre Paul nous met en garde contre le risque de ne pas répondre et de rejeter la grâce qui nous est offerte. Le premier exemple d’un individu ayant perdu le contact avec la grâce est celui d’Ésaü, qui n’apprécia pas son droit d’aînesse à sa juste valeur et le vendit pour un bol de soupe. L’apôtre Paul écrivit que ce manque d’appréciation de la grâce de Dieu lui valut d’être rejeté (Hébreux 12 :14-17). Ésaü, un personnage de l’Ancien Testament, banalisa la grâce qui lui était témoignée – c’est exactement contre cela que Jude nous met en garde.
En ayant cela à l’esprit, Paul conclut cette partie de l’épître par un avertissement, qui reste autant valable de nos jours qu’à l’époque de l’Église du premier siècle : « C’est pourquoi, recevant un royaume inébranlable, montrons notre reconnaissance en rendant à Dieu un culte qui lui soit agréable, avec piété et avec crainte, car notre Dieu est aussi un feu dévorant » (Hébreux 12 :28-29).
Et nous, dans tout cela ? Nous servons un Être dont le caractère n’a pas changé. Celui qui donna la loi à Moïse est Celui qui fait grâce – un Être caractérisé par la grâce et la vérité. Donner cette loi était déjà un acte de grâce, c’est pourquoi la grâce et la loi ne peuvent jamais s’opposer l’une l’autre comme le prétendait Luther. Nous devons comprendre que le Père et le Christ sont des Êtres caractérisés par la grâce, et que toutes Leurs actions envers nous sont des actes d’une grâce incroyable.