La voie de Caïn
En grandissant dans l’Église de Dieu, l’histoire de Caïn et Abel ne m’intéressait pas plus que cela. Il s’agit d’une histoire assez simple, très courte, de deux frères qui se disputent. C’est du moins ce que pensent beaucoup de gens. Le point culminant du récit se termine presque immédiatement après avoir commencé. Il est facile de lire l’histoire entière en moins de 30 secondes.
Mais ce serait une erreur de ne pas s’y attarder. En étudiant en profondeur l’histoire de Caïn et Abel, nous commençons à comprendre qu’il ne s’agit pas du tout d’une querelle. Il s’agit plutôt d’une leçon puissante racontée, de manière surprenante, à travers Caïn, dont le grave péché commença au tréfonds de son cœur.
En simplifiant considérablement les deux premières leçons contenues dans la Bible, nous pourrions dire que l’expérience d’Adam et Ève concerne notre relation avec Dieu, tandis que celle de Caïn et Abel concerne notre relation avec notre prochain. Une des premières choses que Dieu fit dans Sa parole est de nous montrer les conséquences de la transgression des deux grands commandements (Matthieu 22 :37-39), qui résument les Dix Commandements (Exode 20 :1-17). Examinons ce qui se passa entre Caïn et Abel dans Genèse 4 et tirons-en quelques leçons qui, de prime abord, ne sautent pas forcément aux yeux.
La source de la haine
Avant de commencer à analyser le récit de Genèse 4, nous devons nous rendre compte que Caïn n’a pas commencé à haïr Abel du jour au lendemain, allant jusqu’à l’assassiner. Il laissa l’esprit de meurtre mûrir en lui au fil du temps, avant de passer à l’acte. Dans Lévitique 19, Dieu nous met en garde contre le fait de laisser croître en nous une attitude de ressentiment : « Tu ne haïras point ton frère dans ton cœur ; tu auras soin de reprendre ton prochain, mais tu ne te chargeras point d’un péché à cause de lui. Tu ne te vengeras point, et tu ne garderas point de rancune contre les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis l’Éternel » (Lévitique 19 :17-18).
Jésus-Christ décrivit cette haine plus en détail dans Son sermon sur la montagne. Expliquant le sixième commandement, le Christ a déclaré :
« Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens : Tu ne tueras point ; et celui qui tuera sera punissable par les juges. Mais moi je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère sans cause, sera punissable par le tribunal ; et celui qui dira à son frère : Raca (homme de rien), sera punissable par le conseil ; et celui qui lui dira : Fou, sera punissable par la géhenne du feu » (Matthieu 5 :21-22, Ostervald).
Le Christ décrivit ici la progression logique d’une personne laissant la colère et la rancune croître en elle. Le mot grec traduit par « colère » dans « quiconque se met en colère contre son frère sans cause » est orgiz?, faisant référence à une colère persistante, qui pourrait également être définie comme de l’amertume. Le Christ faisait référence au fait d’entretenir du ressentiment à l’égard de quelqu’un n’ayant rien fait de mal ; quelqu’un qui nous aurait seulement énervé, comme un enfant qui renverserait un verre.
Cela conduit à une attitude où la personne traite son frère de « raca (homme de rien) ». Ce mot grec revient à traiter quelqu’un d’écervelé ou de damné. De nos jours, nous dirions un « idiot ». À ce stade, la colère est entretenue et elle devient très forte. La personne en colère commence à perdre son objectivité et le contrôle de soi.
Dans la dernière étape vers l’esprit de meurtre, « celui qui lui dira : Fou, sera punissable par la géhenne du feu ». Le mot grec traduit par « fou » est m?ros, c’est-à-dire « imbécile » ou « insensé ». Traiter quelqu’un d’imbécile revient à le qualifier de moralement répréhensible et de totalement inutile – autrement dit, que cet individu représente un « gaspillage » de l’image de Dieu. À ce stade, la personne en colère a pleinement intériorisé l’esprit de meurtre.
La mauvaise sorte d’offrande
Bien que cela puisse paraître simple, le début de l’histoire de Caïn contient une signification profonde :
« L’homme s’unit à Ève, sa femme ; elle devint enceinte et donna naissance à Caïn. Elle dit : Avec l’aide de l’Éternel, j’ai formé un homme. Elle mit encore au monde le frère de Caïn, Abel. Abel devint berger et Caïn cultivateur. Au bout d’un certain temps, Caïn présenta des produits de la terre en offrande à l’Éternel. Abel, de son côté, présenta les premiers-nés de son troupeau et en offrit les meilleurs morceaux. L’Éternel porta un regard favorable sur Abel et sur son offrande ; mais pas sur Caïn et son offrande. Caïn se mit dans une grande colère, et son visage s’assombrit. » (Genèse 4 :1-5, Semeur).
Nous passons à côté d’un aspect crucial du récit si nous ne comprenons pas l’importance de la justice d’Abel. « C’est par la foi qu’Abel offrit à Dieu un sacrifice plus excellent que celui de Caïn ; c’est par elle qu’il fut déclaré juste, Dieu approuvant ses offrandes ; et c’est par elle qu’il parle encore, quoique mort » (Hébreux 11 :4). Puisque Abel est appelé « juste », nous savons qu’il fit de son mieux pour obéir aux commandements divins, car « tous [Ses] commandements sont justes » (Psaume 119 :172).
Quelles sont les implications de cette vérité ? L’expérience m’a appris que nous sommes jugés sur de nombreux critères, que nous en soyons conscients ou non. Par exemple, il y a quelques années, j’avais amélioré mon régime alimentaire et commencé à faire de l’exercice, ce qui me permit d’être aussi mince que dans le passé. Dans le même temps, il devint nécessaire de renouveler certains de mes vêtements de travail. Je vis une chemise avec un très bon rapport qualité-prix, à ma taille, mais la coupe était très cintrée. Je l’ai commandée en ligne et, lorsqu’elle est arrivée, je l’ai essayée avec un peu d’appréhension. Heureusement, la chemise m’allait bien… un peu trop bien même. J’ai tout de suite compris qu’elle serait trop serrée à la moindre prise de poids.
Les semaines ont passé et je me suis relâché en termes d’alimentation et d’exercice physique. J’étais certain d’avoir repris du poids, mais combien ? Un jour, la plupart de mes chemises étant dans le panier à linge sale, je ne trouvais rien de convenable dans la penderie, sauf cette chemise bien cintrée, suspendue, me « regardant » et se moquant de moi. Pourquoi ? Soit elle m’allait, soit elle ne m’allait pas ! Elle n’avait pas changé de taille depuis que je l’avais commandée. Ce n’était pas la faute de la chemise. Elle était le même juge aujourd’hui que lorsque je l’avais achetée. Les mois passèrent et j’appréhendais presque d’ouvrir la penderie, à cause de cette chemise.
Le temps passa encore et, un jour, je décidai que la meilleure chose à faire était de me débarrasser de cette chemise, de lui ôter ses dimensions prétentieuses et immuables qu’elle avait toujours représentées. Une fois cette chemise enlevée de la penderie, je serais libre de l’ouvrir sans avoir à me rappeler constamment que je m’étais relâché dans mes efforts.
De la même manière, la haine de Caïn pour Abel n’était pas motivée par une attitude ou une action pécheresse de la part d’Abel (contrairement à la haine d’Ésaü pour Jacob, par exemple). Au contraire, l’attitude de Caïn était la plus toxique qui soit. C’est la justice d’Abel qui rendait Caïn furieux (1 Jean 3 :12). Cette justice était vraiment contrariante pour Caïn, car elle donnait une « mauvaise image » de lui-même et la comparaison avec les actions d’Abel mettait en exergue sa propre culpabilité.
Abel apporta un sacrifice pour le péché, un premier-né de son troupeau. Il apporta le meilleur de ses possessions et son offrande reflétait son attitude de révérence envers Dieu. À l’opposé, Caïn ne semblait pas avoir apporté ce qu’il avait de meilleur et Dieu s’offusque des offrandes de mauvaise qualité, comme le montre clairement Malachie : « Vous offrez sur mon autel des aliments impurs, et vous dites : En quoi t’avons-nous profané ? C’est en disant : La table de l’Éternel est méprisable ! Quand vous offrez en sacrifice une bête aveugle, n’est-ce pas mal ? Quand vous en offrez une boiteuse ou infirme, n’est-ce pas mal ? Offre-la donc à ton gouverneur ! Te recevra-t-il bien, te fera-t-il bon accueil ? » (Malachie 1 :7-8). Dieu accepta l’offrande d’Abel et refusa celle de Caïn pour la même raison : leur attitude – bonne pour l’un et mauvaise pour l’autre.
Le verbe « recevoir » dans Malachie 1 :9 est traduit d’une expression hébraïque disant littéralement « relève ton visage ». Cela fournit un détail intéressant dans l’histoire de Caïn, dont le visage fut abattu lorsque son offrande fut refusée. Il fut « très irrité » – cette expression hébraïque, dans Genèse 4 :5, signifie « brûler de colère », au point d’affecter l’expression corporelle.
L’Éternel donna alors un conseil judicieux à Caïn : « Pourquoi es-tu irrité, et pourquoi ton visage est-il abattu ? Certainement, si tu agis bien, tu relèveras ton visage, et si tu agis mal, le péché se couche à la porte, et ses désirs se portent vers toi : mais toi, domine sur lui » (Genèse 4 :6-7). Dans ce passage, le péché est représenté comme une bête sauvage, tapie dans l’ombre et prête à bondir. Il ne s’agit pas d’une condamnation de Caïn, mais plutôt d’un avertissement et d’un encouragement. Dieu dit à Caïn qu’il était encore temps de changer son cœur et qu’il devait le faire, avant que la bête du péché ne bondisse et ne l’envahisse complètement.
Comment Caïn aurait-il pu changer son cœur ? La réponse se trouve dans le sermon sur la montagne. Jésus, qui était le Dieu de l’Ancien Testament, déclara : « Si donc tu présentes ton offrande à l’autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis, viens présenter ton offrande » (Matthieu 5 :23-24). Caïn présenta une offrande à Dieu tout en éprouvant du ressentiment à l’égard de son frère. Nous ne pouvons pas espérer que Dieu soit satisfait de nous si nous sommes amers et rancuniers à l’égard de ceux qui sont conçus à Son image.
Les conséquences de l’amertume
Le fait que Dieu refuse d’accepter l’offrande de Caïn engendra deux conséquences : ce dernier fut en colère à la fois contre Dieu et contre Abel. Comme nous l’avons vu, Caïn n’avait aucune raison rationnelle d’être en colère contre son frère. Après tout, ce n’était pas Abel qui avait rejeté l’offrande de Caïn. Mais son exemple de justice agissait comme un jugement à l’encontre de Caïn. Il se laissa gagner par l’amertume et décida de tuer son frère, afin de mettre un terme au comportement idéal que celui-ci incarnait. « Caïn adressa la parole à son frère Abel ; mais, comme ils étaient dans les champs, Caïn se jeta sur son frère Abel, et le tua » (Genèse 4 :8).
Bien entendu, dans l’échange suivant, Dieu savait déjà que Caïn avait tué son frère, mais Il lui donna l’occasion de confesser son péché, car Il voulait voir comment Caïn réagirait :
« L’Éternel dit à Caïn : Où est ton frère Abel ? Il répondit : Je ne sais pas ; suis-je le gardien de mon frère ? Et Dieu dit : Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi. Maintenant, tu seras maudit de la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère. Quand tu cultiveras le sol, il ne te donnera plus sa richesse. Tu seras errant et vagabond sur la terre. Caïn dit à l’Éternel : Mon châtiment est trop grand pour être supporté. Voici, tu me chasses aujourd’hui de cette terre ; je serai caché loin de ta face, je serai errant et vagabond sur la terre, et quiconque me trouvera me tuera. L’Éternel lui dit : Si quelqu’un tuait Caïn, Caïn serait vengé sept fois. Et l’Éternel mit un signe sur Caïn pour que quiconque le trouverait ne le tue point. Puis, Caïn s’éloigna de la face de l’Éternel, et habita dans la terre de Nod, à l’orient d’Éden » (Genèse 4 :9-16).
Comme nous le voyons, Caïn était maintenant rempli d’amertume et de ressentiment à l’égard de son frère, mais aussi contre le mode de vie divin. Lorsqu’une telle attitude est pleinement développée, elle caractérise une personne guidée par un cœur meurtrier qui vient « du malin » (1 Jean 3 :12). Non seulement Caïn méprisait son frère, embrassait l’esprit de meurtre et passa même à l’acte, mais, pour ne rien arranger, il n’était pas disposé à reconnaître sa propre culpabilité. Sa mentalité pécheresse le trompait en lui faisant croire que Dieu était injuste, et que lui, Caïn, était une victime, alors même que le sang de la véritable victime tachait encore le sol !
C’est ainsi que Caïn, consumé par l’amertume et la colère, quitta la présence de Dieu pour fonder sa propre civilisation. Le développement de cette civilisation est rapporté dans la suite de Genèse 4. Après quelque temps, « l’Éternel vit que la méchanceté des hommes était grande sur la terre, et que toutes les pensées de leur cœur se portaient chaque jour uniquement vers le mal » (Genèse 6 :5). En fin de compte, nous savons que Dieu n’eut pas d’autre choix que de détruire la quasi-totalité de l’humanité au cours d’un déluge mondial. Tel fut l’héritage de Caïn.
En tant que meurtrier, Caïn méritait la mort. Pourquoi Dieu ne lui a-t-Il pas ôté la vie ? En lui permettant de continuer à vivre, Dieu nous donna une illustration des conséquences du mode de vie de Caïn ; et ses enfants continuèrent à imiter sa violence, car « un peu de levain fait lever toute la pâte » (1 Corinthiens 5 :6). La justice demande des efforts, mais le péché se répand comme une maladie. À travers la descendance de Caïn, Dieu laissa un exemple des résultats de la propagation de cette maladie. Adam et Ève avaient choisi un mélange de bien et de mal. Le péché de Caïn leur aurait montré, comme il nous le montre de nos jours, que lorsque nous laissons le mal exister, il ne tarde pas à étouffer le bien. Le péché ne peut être toléré.
L’influence du péché de Caïn ne s’arrêta pas avec le déluge à l’époque de Noé. Des milliers d’années plus tard, l’apôtre Jude rappela à l’Église des exemples et des avertissements contenus dans les Écritures, en faisant référence aux anges rebelles, aux habitants de Sodome et Gomorrhe, à ceux qui rejettent l’autorité et qui critiquent les dirigeants, ainsi qu’aux individus arrogants qui se sont corrompus à travers un mode de vie dévoyé. Jude décrivit ceux qui pratiquent le péché, disant qu’ils suivent « la voie de Caïn, ils se sont jetés pour un salaire dans l’égarement de Balaam, ils se sont perdus par la révolte de Koré » (Jude 1 :11).
Après le récit de la création, puis du péché d’Adam et Ève, Dieu mentionna l’histoire de Caïn pour une raison précise. De façon tragique, ce n’est ni la voie d’Abel ni celle de Seth, le troisième fils d’Adam, qui caractérise la civilisation humaine, mais bien celle de Caïn.
Qu’en est-il de nous ?
L’apôtre Jean fut inspiré à écrire :
« C’est par là que se font reconnaître les enfants de Dieu et les enfants du diable. Quiconque ne pratique pas la justice n’est pas de Dieu, ni celui qui n’aime pas son frère. Car ce qui vous a été annoncé et ce que vous avez entendu dès le commencement, c’est que nous devons nous aimer les uns les autres, et ne pas ressembler à Caïn, qui était du malin, et qui tua son frère. Et pourquoi le tua-t-il ? Parce que ses œuvres étaient mauvaises, et que celles de son frère étaient justes » (1 Jean 3 :10-12).
La voie de Caïn consiste à blâmer les autres pour nos problèmes, en refusant obstinément d’accepter que nous sommes le dénominateur commun de tous ces problèmes. Lorsque nous voyons quelqu’un se comporter de manière plus juste que nous, éprouvons-nous du ressentiment et nous sentons-nous jugés ? Ou nous voyons-nous honnêtement et apprécions-nous l’opportunité de changer et de croître ?
Caïn ne prit jamais le temps de se demander s’il aurait pu être le problème – et que la véritable source de sa colère et de son amertume était sa propre iniquité. Lorsque nous obéissons au commandement divin d’aimer notre prochain comme nous-mêmes, en priant pour ceux qui nous irritent et en faisant du bien à ceux qui nous maltraitent, nous gardons une attitude positive et nous évitons de nous engager sur la voie de la colère, de la haine et de l’amertume. Nous ne pouvons changer que nous-mêmes. Lorsque nous nous efforçons, avec l’aide de Dieu, de considérer les autres comme étant meilleurs que nous-mêmes (Philippiens 2 :3) et d’éliminer notre propre ressentiment, toutes nos relations avec les autres s’amélioreront.